Voltaire et Rousseau, deux philosophes affrontés... à jamais
Voltaire, le philosophe illustré par excellence qui défend les idées des Lumières et qui représente le raffinement aristocratique de l’Ancien Régime. Rousseau, le philosophe qui cherche toujours le retraite dans la nature et qui a du mal à vivre dans la société. Deux personnalités tout à fait éloignées qui se sont rencontrées en vie et finalement affrontées à jamais.
Leurs origines sont déjà très différentes. Voltaire,
né sous le nom de Jean-Marie Arouet en 1964, procédait d’une famille bourgeoise
de Paris. Ayant reçu de bonnes études, il faisait preuve de son
anticléricalisme en joignant les milieux libertins de son époque. Rousseau, à
son tour, est né au sein d’une famille modeste de Genève. De religion
protestante, sa jeunesse s’est déroulée dans des conditions pénibles : il
n’avait pas d’argent.
Voltaire a toujours été un touche-à-tout. En
effet, il s’est
exilé à cause de ses idées. Il a vécu ainsi en Angleterre, où il a découvert les
lois démocratiques y instaurées, qu’il a reflétées dans ses Lettres Anglaises (1733). Après l’exil,
déjà retourné en France, il fréquentait la Cour de Versailles, et est même
devenu l’historiographe de Louis XV. Son exil n’a pas anéanti son caractère
bagarreur, lequel il a conservé pendant toute sa vie. En 1740, il a fait la
connaissance de Rousseau.
Le philosophe génois s’est installé à Paris après
une jeunesse vagabonde. Là-bas, il s’est relié avec les auteurs de l’Encyclopédie, et l’observation de la
société lui a valu le développement de sa théorie philosophique ; théorie
qui continue à nous influencer de nos jours. Rêveur impitoyable, Rousseau
croyait à l’état de la nature : il affirmait qu’il s’agissait du seul état
valide pour l’être humain, puisque, du moment où l’on entre dans la société, on
entre aussi dans la corruption. Ainsi, il a beaucoup critiqué, entre autres, le
théâtre, une activité qu’il considérait tout à fait immorale. Par ailleurs,
Rousseau croyait à la souveraineté populaire, concept qu’il a développé dans
ses œuvres.
Voltaire, ayant lu le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Rousseau, a critiqué
durement l’œuvre. En effet, il y critiquait le raffinement aristocratique dont
Voltaire faisait partie, et à cause duquel il se sentait offensé. En plus, le
philosophe parisien n’aimait pas la façon dont son camarade critiquait
l’inégalité sociale ; il ne faut pas oublier que Voltaire était toujours
l’ami des privilégiés, en étant lui-même un. Cette rivalité a peu à peu crû :
des années plus tard, Voltaire reprochait à Rousseau le fait d’avoir abandonné ses
cinq enfants, fait que le génois éclaircit dans ses Confessions.
Lorsque Rousseau publique le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes en 1755, où il défend que l’être humain est bon par nature mais la
société le corrompe, Voltaire n’hésite pas à lui répondre avec une lettre
ironique. Voilà :
« J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre
humain ; je vous en remercie ; vous plairez aux hommes à qui vous dites
leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. Vous peignez avec des couleurs
bien vraies les horreurs de la société humaine dont l'ignorance et la faiblesse
se promettent tant de douceurs. On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir
nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre
ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu
l'habitude, je sens malheureusement
qu'il m'est impossible de
la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus
dignes, que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les
sauvages du Canada, premièrement parce que les maladies auxquelles je suis
condamné me rendent un médecin d'Europe nécessaire, secondement parce que la
guerre est portée dans ce pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu
les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage
paisible dans la solitude que j'ai choisie auprès de votre patrie où vous
devriez être. J'avoue avec vous que les belles lettres, et les sciences ont
causés quelquefois beaucoup de mal... »
Face à cette attaque, Rousseau décide de lui
répondre de cette façon-ci :
« C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à
tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes tristes rêveries, je n'ai point
cru vous faire un présent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir et vous
rendre un hommage que nous devons tous comme à notre Chef [...]. Le goût
des sciences et des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur qu'il augmente
bientôt à son tour, et s'il est vrai que tous les progrès humains sont
pernicieux à l'espèce, ceux de l'esprit et des connaissances, qui augmentent
notre orgueil et multiplient nos égarements, accélèrent bientôt nos malheurs :
mais il vient un temps où le mal est tel que les causes même qui l'ont fait
naître sont nécessaires pour l'empêcher d'augmenter : c'est le fer qu'il
faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi, si j'avais suivi ma première vocation et que je n'eusse ni lu ni
écrit, j'en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres
étaient maintenant anéanties, je serais privé de l'unique plaisir qui me reste
: c'est dans leur sein que je me console de tous les maux ; c'est parmi leurs
illustres enfants que je goûte les douceurs de l'amitié, que j'apprends à jouir
de la vie et à mépriser la mort ; je leur dois le peu que je suis, je leur dois
même l'honneur d'être connu de vous... » (Paris, le 10 septembre
1755).
Ces deux philosophes ont démontré pendant toute
leur existence la claire différence entre leurs caractères et entre leur façon
de concevoir la vie et la société. Voltaire, pour sa part, était du côté
anticlérical ; en plus, il a toujours été très proche des hautes classes
de l’époque, lesquelles le génois critiquait durement ; en effet, Voltaire
considérait très extrémiste la pensée de son camarade, puisqu’elle attaquait
les privilégiés comme lui. Rousseau, au contraire, s’est maintenu proche de la
religion ; il croyait à l’égalité entre les êtres humains, et détestait
les nantis d’une partie de la société. Montrant toujours une profonde
sensibilité, ses retraites spirituelles et sa conception de la nature ont
inspiré les romantiques ; donc, on peut affirmer qu’il a ouvert la porte
du siècle suivant.
Morts tous les deux en 1778, ils continuent à
livrer leur bataille au Panthéon de Paris, où leurs restes mortels reposent
l’un en face de l’autre pour toute l’éternité.
Silvia Núñez Vivar
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